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Synthèse des travaux de la journée d'étude sur « Le contrôle des concentrations économiques » Al

  • Rafik RABIA
  • 23 juin 2019
  • 9 min de lecture

Synthèse des travaux de la journée d’étude


Par Rafik RABIA

Avocat aux barreaux d’Alger et de Paris.


Le Président du Conseil de la concurrence, Monsieur Amara ZITOUNI, a bien voulu me laisser le soin de tirer les conclusions des travaux de cette journée d’étude, placée sous le signe du contrôle des concentrations économiques, et je le remercie bien vivement.


Nous nous retrouvons, aujourd’hui, dans cette belle salle de conférence de l’Hôtel El Djazaîr autour d’un sujet capital pour le marché. Le contrôle des opérations de concentrations, enjeu majeur de la politique concurrentielle du pays, constitue un rempart au bouleversement des pouvoirs au sein des marchés et, par conséquent, au libre arbitre du consommateur. C’est ainsi que cette pléiade d’éminents experts, venus de France, de Belgique, d’Italie et d’Espagne, qui nous ont honorés par leur présence, a contribué activement à l’éclaircissement de cette matière complexe.


Les concentrations économiques relèvent d’une stratégie d’expansion externe des entreprises. Cette stratégie peut s’avérer bénéfique pour les entreprises mais peut avoir des conséquences irrémédiables pour le marché. C’est ainsi qu’un contrôle ex ante des concentrations a été instauré en Algérie par l’ordonnance 03-03 de du 19 juillet 2003 modifiée et complétée. Cette dernière impose une notification des concentrations qui remplissent les critères de contrôlabilité prévus aux articles 17 et 18.


Cependant, cette loi semble souffrir de certaines carences ne permettant guère un contrôle effectif. Monsieur Djilali SLIMANI, membre permanent du Conseil de la concurrence, nous a exposé, dans la partie introductive, les différentes ambiguïtés du texte en insistant sur deux aspects bien distincts. D’une part, l’absence d’une obligation « explicite » de notification dans l’article 17, qui donne l’impression d’avoir laissé le soin aux candidats d’apprécier leur concentration, et d’autre part, l’absence de seuil de chiffre d’affaire à partir duquel une concentration doit être notifiée. Le peu de nombre de notifications est imputé, selon Monsieur SLIMANI, aux différentes ambiguïtés du texte. Les notifications restent toutefois obligatoires dès lors que l’article 61 prévoit une sanction pour défaut de notification à hauteur de 7% du chiffre d’affaires cumulé.


Par ailleurs, Monsieur SLIMANI a pointé du doigt l’absence d’un organe de suivi et de veille des activités concentratives des entreprises au sein du Conseil de la concurrence. Pour remédier à cette problématique, il a proposé, outre la réforme impérative des dispositions législatives, la participation active des notaires. En Algérie, toute création ou modification des statuts et toute cession s’opèrent obligatoirement devant les notaires. Ces derniers peuvent participer activement en informant le Conseil de toute concentration opérée par leurs offices. C’est ainsi que l’organe de veille, qui aura été instauré au sein du Conseil, effectuera un tri afin de détecter les concentrations contrôlables n’ayant pas été notifiées par leurs auteurs.


Dans la première partie de cette journée d’étude, il était question d’aborder les concentrations dans leur aspect stratégique et concurrentiel. Contrairement aux idées reçues sur le contrôle des concentrations, ce dernier n’est pas un pur pouvoir régalien de l’Etat. Comme je l’ai précisé dans mon intervention, le contrôle des concentrations a été instauré pour assurer une sécurité juridique aux entreprises. Une autorisation est une sorte d’immunité contre tout problème susceptible de surgir post-concentration. Il est, ainsi, dans l’intérêt des entreprises de notifier leurs concentrations au Conseil de la concurrence afin d’éviter d’avoir une épée de Damoclès.


J’ai également abordé les risques des concentrations sur le marché pouvant entrainer des effets sur tous les niveaux du processus de distribution. Une concentration horizontale peut, notamment, réduire l’intensité de la concurrence, augmenter le pouvoir de marché en créant ou renforçant une position dominante et créer des barrières artificielles à l’entrée. Les entraves à la concurrence peuvent également découler d’une concentration non horizontale. Dans les concentrations verticales, ces entraves se réalisent par la fermeture des sources d’approvisionnement ou la fermeture d’accès à un client. Quant aux concentrations conglomérales, leurs effets peuvent résulter de ventes liées ou groupées. Le contrôle des concentrations demeure, ainsi, un enjeu majeur de la politique concurrentielle et de l’économie nationale.


Il a également été rappelé que la notion de prise de contrôle en droit des concentrations diffère de celle connue en droit des sociétés. Outre la prise de contrôle majoritaire des droits sociaux, il n’est pas rare qu’une entreprise détienne une participation minoritaire dans le capital lui conférant un pouvoir d’influence déterminante sur la politique commerciale de la cible. Tel pourrait être le cas, notamment, si l’actionnaire majoritaire détient un droit de vote simple alors que l’actionnaire minoritaire détient des droits doubles. L’influence peut également se manifester lorsque l’actionnaire minoritaire ne détient pas le pouvoir d’adopter une décision mais se retrouve en mesure de s’opposer, par une sorte de droit de veto, à l’adoption de celle-ci. Dès lors, le Conseil de la concurrence apprécie la réalité des pouvoirs à l’intérieur des organes sociaux.


Le droit européen des concentrations est, à côté du droit américain, l’un des systèmes les plus construits au monde. Il comporte un mécanisme de contrôle bien « huilé », depuis son instauration en 1989, tourné vers une priorisation de l’intérêt du consommateur. Monsieur Alain VAN HAMME, Conseiller auprès du Hearing Officier à la Commission européenne a abordé les différents aspects de ce contrôle. Nous pouvons ainsi retenir que le processus de contrôle comporte trois étapes. Une étape de pré- notification, qui se caractérise par une sorte de démarche informelle auprès de la Commission afin d’apprécier la notifiabilité d’une opération de concentration. La deuxième, appelée Phase I, se matérialise par une notification de la concentration à la Commission. Cette dernière peut, soit estimer que la concentration ne risque pas de porter atteinte à la concurrence et l’autorise à ce stade, soit soulever des doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération et ouvre un contrôle approfondi dans la phase II. Cette dernière phase se dénoue, généralement, par une autorisation sous obligations et engagements ou, dans des cas spécifiques, par une interdiction. Monsieur VAN HAMME a, en outre, insisté sur les perspectives du droit européen des concentrations face à la digitalisation croissante des marchés, l’accroissement de la coopération internationale en matière de concentration et l’éventuel ajustement dans le cadre général dû à des enjeux politiques, en l’absence de critère de politique industrielle dans un environnement mondialisé.


La mondialisation des rapports soulève la question des concentrations mondiales ou, pour utiliser le terme usuel, des concentrations transnationales. Une concentration peut s’opérer dans un Etat tiers tout en ayant des effets sur les marchés nationaux. C’est à Maître Lionel LESUR que nous devons aujourd’hui l’éclairage très pédagogique et précis des différents enjeux des concentrations transnationales en Europe et la controverse soulevée par l’affaire Alstom/Siemens. Il a précisé, tout d’abord, le grand empreint politique du contrôle des concentrations en Europe. L’objectif d’intégration semble être inconciliable avec le besoin de création d’un « champion national » dans un marché mondialisé. Il a, ensuite, soumis certaines propositions pour une bonne appréciation des opérations transnationales par le Conseil de la concurrence en Algérie.


Je retiens de son intervention que la décision d’interdire l’opération Alstom / Siemens est « la plus controversée jamais adoptée par la Commission ». Le contrôle de cette opération a été caractérisé par de fortes pressions de la part du couple franco-allemand. Le veto de la Commission a amené le ministre des finances français Bruno Le MAIRE à qualifier le droit européen « d’obsolète » et cette décision d’ « erreur économique », de « faute politique » et de « décision servant les intérêts chinois ». Ainsi, l’absence d’un critère de politique industrielle dans le règlement 139/2004 relatif aux concentrations a mené à des décisions basées sur le seul droit, abstraction faite de la politique industrielle européenne.

Dans le contexte algérien, Lionel LESUR trace une ligne de réflexion qui commence par une nouvelle loi permettant de pallier les différentes insuffisances de l’actuelle ordonnance. Il a mis l’accent sur l’importance des lignes directrices dans la fluidité du contrôle et l’instauration d’une relation de confiance avec les opérateurs. Les lignes directrices permettent la mise en place d’un schéma de réflexion et de critères d’appréciation qui assurent une prévisibilité de la norme. Il a, par ailleurs, insisté sur l’importance de la sanction dans la conformité des entreprises. Une sanction du Conseil de la concurrence fera « jurisprudence » et incitera les opérateurs à notifier leurs concentrations. Enfin, Maître LESUR encourage les entreprises à se rapprocher du Conseil de la concurrence par une approche informelle de pré-notification afin de lever les doutes quant à la notifiabilité ou non de leurs opérations de concentration.


La deuxième partie de cette journée d’étude était consacrée à la procédure et à l’appréciation substantielle des concentrations. Pendant la procédure de contrôle, les entreprises doivent respecter certaines obligations. Outre celles tenant à la notification, Maître Marco PLANKENSTEINER, avocat aux barreaux de Paris et de Milan, rappelle l’obligation des candidats de suspendre l’opération dès lors qu’elle est notifiable. Toute concentration réalisée sans se soumettre à l’une de ces obligations est qualifiée de gun Jumping. L’article 22 de l’ordonnance 03-03 dispose que « pendant la durée requise pour la décision du Conseil de la concurrence, les auteurs de l’opération de concentration ne peuvent prendre aucune mesure rendant la concentration irréversible ». Les entreprises doivent, ainsi, rester indépendantes jusqu’au « closing » après validation par le Conseil de la concurrence.


L’appréciation substantielle des concentrations est un exercice complexe, appelant des méthodes de simulation des effets et du devenir des marchés post-concentration. Il existe plusieurs effets susceptibles d’être engendrés par une concentration. Pour les concentrations horizontales, David SPECTOR Professeur d’économie à l’Ecole d’Economie de Paris, en a distingué les effets coordonnés, qui se caractérisent par une facilitation de la coordination post-concentration, et les effets unilatéraux qui créent un nouvel équilibre spontané impliquant des prix élevés et une qualité moindre. Par manque de temps, David SPECTOR a choisi de traiter uniquement l’appréciation unilatérale qui représente l’aspect le plus complexe du contrôle.


L’analyse concurrentielle d’une opération de concentration repose, dans un premier temps, sur les parts de marché des candidats et sur la répartition des parts restantes dans la structure du marché. David SPECTOR a toutefois mis l’accent sur le caractère trompeur des parts de marché. Il est possible qu’une entreprise détienne des parts de marché significatives sans pour autant détenir un pouvoir de marché. Tel pourrait être le cas en présence d’une puissance d’achat compensatrice ou en l’absence de barrières à l’entrée. Une concentration peut, par ailleurs, engendrer une nouvelle entité qui, sans détenir une position dominante, dispose d’un pouvoir d’agir sur le marché indépendamment des autres acteurs. Tel serait le cas quand l’opération regroupe des produits différenciés qui représentent, pour une grande partie des consommateurs, le premier et le deuxième choix. Ainsi, l’augmentation des prix de l’un des produits fera reporter la demande sur le second qui appartient désormais à la même entité.


L’intervention de David SPECTOR nous a permis de comprendre davantage l’appréciation par le taux de diversion. Il s’agit d’un mécanisme permettant d’apprécier dans quelle mesure une augmentation de prix d’un produit A pourrait impacter les ventes d’un produit B. Cette appréciation dépasse la traditionnelle définition du marché pertinent pour se porter sur la notion du proche substitut dans un marché regroupant des produits différenciés. Ainsi, l’appréciation se fait par segment de marché dans lequel deux ou plusieurs produits, sans être substituables, peuvent répondre à un même besoin.


Il est, enfin, important de rappeler le rôle du Conseil de la concurrence en manière de concentrations. L’interdiction n’est nullement une obsession et toute solution remédiant aux problèmes de concurrence est la bienvenue. Ainsi, une concentration, quand bien même serait-elle de nature à porter atteinte à la concurrence, peut se voir autorisée par le Conseil de la concurrence. A cet effet, un dialogue constructif doit s’opérer entre les candidats et le Conseil afin de trouver une solution par des engagements viables. Maître Evelyne AMEYE, avocate aux barreaux de Madrid et de Bruxelles, a mis l’accent sur l’importance de la négociation en matière de concentration. Cette dernière s’articule généralement autour de la question des engagements structurels, engagements privilégiés par les autorités de concurrence. Il s’agit d’engagements ne nécessitant pas de suivi, ayant des résultats certains et perceptibles dès leur application. Ils se réalisent par la cession d’actif, la dissociation et élimination de liens structurels.


Les engagements peuvent également être quasi-structurels. Ils se matérialisent notamment par un droit d’accès à un réseau, par exemple, la libération de créneaux dans des aéroports pour le marché du transport aérien, ou par l’élimination de contrats exclusifs à long terme.


Evelyne AMEYE a toutefois rappelé la réticence des autorités à des engagements comportementaux, qui nécessitent un long suivi sans avoir de résultats certains, tels que les engagements de ne pas augmenter les prix ou de ne pas supprimer une marque.


L’utilisation des injonctions, quant à elle, reflète généralement l’échec des négociations. Les Autorités de la concurrence dotées de ce pouvoir, à l’instar du Conseil de la concurrence, n’utilisent l’injonction que dans le cas où les engagements proposés par les parties sont insuffisants. Par conséquent, les opérateurs doivent exploiter cette période de négociation, en proposant des engagements viables, de sorte que tous les doutes soulevés par le Conseil soit levés.


J’espère, par ce dernier point, avoir abordé tous les aspects importants de cette journée d’étude. Je conclus par mes vifs remerciements au Président du Conseil de la concurrence de m’avoir fait l’honneur d’organiser cette journée d’étude, et à tous les experts qui ont contribué largement aux débats sur les concentrations en espérant les revoir bientôt au pupitre.

Je vous remercie.


Rafik RABIA

Avocat aux Barreaux d’Alger et de Paris

Rafik.rabia@crlaw-dz.com

www.crlaw-dz.com




 
 
 
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