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Injonctions et engagements en droit algérien de la concurrence.

  • Maître Rafik RABIA
  • 10 mai 2018
  • 18 min de lecture

Les injonctions et les engagements sont deux moyens opposés de la volonté humaine. Si l’injonction, ordre formel d’obéir sur le champ sous menace de sanction, est restrictive de liberté, l’engagement, quant à lui, trouve sa source dans l’expression même de la liberté humaine.


L’étude des injonctions et engagements en droit de la concurrence présente indéniablement un intérêt pratique. A l’heure où la quête de l’efficacité prend le pas sur le formalisme, il est nécessaire de repositionner les remèdes du droit algérien de la concurrence dans l’ordre juridique. Ces derniers se matérialisent, soit par une contrainte exercée par le Conseil de la concurrence qui prend la forme d’une injonction (I), soit par une volonté spontanée de l’opérateur économique de soumettre des engagements (II)


I -Les injonctions :


L’injonction est un ordre donné par une autorité afin d'atteindre une finalité. Sa fonction n’est pas de réprimer, ni de réparer, mais de corriger, de rétablir une situation, de remettre, en quelque sorte, les intéressés dans le chemin juridique[1].

Le pouvoir d’injonction du Conseil lui a été conféré par l’ordonnance 03-03 dans son article 45 qui dispose ce qui suit : « Dans le cas où les requêtes et les dossiers dont il est saisi ou dont il se saisit relèvent de sa compétence, le Conseil de la concurrence fait des injonctions motivées visant à mettre fin aux pratiques restrictives de concurrence constatées… »[2].


Ce pouvoir est d'une importance indéniable. Le Conseil de la concurrence dispose, par le biais de ces injonctions, d'un outil qui permet l'effectivité du droit et l'efficacité de son action. Assimilé à une sanction, son but n'est ni pédagogique ni répressif. Son unique objectif est de corriger les troubles causés par les opérateurs en infraction sur le marché. Cela dit, leur mobilisation est subordonnée à la contestation préalable d'une infraction. Cette dernière doit être continue dans le temps et produire des effets sur le marché. Lorsque la pratique est cessée, l'utilisation d'une injonction ne présente aucun intérêt dans la mesure où rien n'est à corriger. Dans le cas contraire, la constatation de l'infraction est d'une importance particulière. D’une part, elle constitue l’affirmation, par le Conseil, de sa compétence pour sanctionner l’infraction, en enjoignant la cessation, et d’autre part, constituera la base de l’obligation des parties de mettre fin à l’infraction. L'efficacité de l'action du Conseil passe alors par un pouvoir d’injonction dans le contrôle des comportements (A) et dans celui de la structure du marché. (B)


A : Le pouvoir d’injonction dans le contrôle des comportements


L’utilisation par le Conseil de ce pouvoir d’injonction dépend de la nature ex ante ou ex post du contrôle. Le moment où intervient le contrôle peut avoir une incidence significative sur le choix de la mesure adéquate. Dans le contrôle ex post, ce pouvoir peut se manifester en tant que procédure principale (1) ou en tant que mesures provisoires (2).


1- Le pouvoir d’injonction du Conseil de la concurrence au principal


Le choix que le Conseil opère dans la décision des injonctions revêt une importance indéniable. Le but dans sa mobilisation est de faire cesser ou corriger les conditions de concurrence telle que modifiées par l’acte en cause. Il est donc rare, en principe, et en matière d’acte anticoncurrentiel, de voir une décision qui constate une infraction ne pas aboutir à une injonction.

L’ordonnance 03-03, modifiée et complété, confère et organise l’exercice, par le Conseil, de ce pouvoir d’injonction. Pour mettre en œuvre un tel pouvoir, le Conseil de la concurrence doit constater une infraction prévue par l’ordonnance. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une entente, d’un abus de position dominante, abus de dépendance économique ou prix abusivement bas à laquelle l’injonction doit mettre fin.


Contrairement au droit français qui confère au ministre chargé de l’économie un pouvoir d’injonction[3], l’ordonnance relative à la concurrence ne prévoit pas un tel pouvoir au ministre de Commerce. Le Conseil de la concurrence est la seule autorité jouissant de ce pouvoir d’injonction. Le ministre peut saisir le Conseil de la concurrence pour lui demander d'enjoindre sans que ce dernier soit lié par cette demande. Toutefois, cette possibilité de saisine par le ministre est limitée aux seules situations d'urgence.


L’article 46 de l’ordonnance dispose que « le Conseil de la concurrence peut, sur demande du plaignant ou du ministre chargé du commerce, prendre des mesures provisoires destinées à suspendre les pratiques présumées restrictives faisant l’objet d’instruction, s’il est urgent d’éviter une situation susceptible de provoquer un préjudice imminent et irréparable aux entreprises dont les intérêts sont affectés par ces pratiques ou de nuire à l’intérêt économique général. » Il ressort d’une telle rédaction que le ministre est érigé, en matière d’injonction, au même niveau que le plaignant qui doit pouvoir demander des mesures provisoires si l’urgence le justifie.


Dans la procédure de contrôle du comportement, mis en œuvre au principal par le Conseil, l’injonction est présentée comme une réponse à une infraction. Les injonctions ne constituent pas seulement un instrument de répression ; elles sont également au service de l’action préventive du Conseil de la concurrence.


2- Le pouvoir d’injonction du conseil de la concurrence dans les procédures d’urgence


En matière économique, et plus particulièrement dans le domaine de la concurrence, les procédures d’urgence sont indispensables à l’effectivité du droit. Le rythme des affaires est difficilement conciliable avec la longueur des procédures de sorte qu’en la matière, le provisoire tend à devenir définitif[4]. Il est donc vital d’intervenir d’une manière prompte pour préserver certains droits. Cette intervention est doublement efficace dans la mesure où elle permet, d’une part, de mettre fin à l’infraction, d’autre part, décourager toute tentative de violation future. L’article 46 précité confère au Conseil le pouvoir d’agir par les mesures provisoires.


La demande de mesure conservatoire est effectuée, soit par les entreprises qui se prétendent victimes d’un acte anticoncurrentiel, soit par le ministre du Commerce. Les mesures conservatoires peuvent être demandées à tout moment de la procédure. Cependant, ce qui est étonnant à bien des égards, l’article précité ne permet ni au Conseil de la concurrence de s’autosaisir, ni d’être saisi à la demande d’une juridiction. C’est dans une telle situation que la collaboration entre le Ministère et le Conseil peut avoir tout son intérêt.


Pour la recevabilité d’une requête en mesures provisoires, l’article énumère trois conditions cumulatives. Premièrement, une urgence justifiée par le caractère imminent du préjudice. Sur ce point, le Conseil peut se faire aider par la jurisprudence de la Cour suprême en matière d’interprétation de l’urgence. Deuxièmement, afin de pouvoir justifier le caractère temporaire de la décision, une procédure d’examen au fond doit exister. Troisièmement, l’octroi de la mesure doit être subordonné à l’existence de moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l’action demandée. Cette dernière doit être justifiée par un préjudice de nature concurrentielle qui ne peut être réparé par la décision finale du Conseil. De ce fait, la réparation du préjudice par d’éventuelles actions en dommage et intérêt devant le juge civil ne suffit pas à lui retirer le caractère irréparable[5].


Toutefois, pour éviter de glisser vers un interventionnisme injustifié et contradictoire avec l’esprit de l’ordonnance, l’utilisation de ces moyens doit rester strictement limitée à ce qui est nécessaire, tant dans leur objet que dans leur durée. Pour le contenu de la décision, il doit être celui qui peut être ordonné au fond par le Conseil. Afin de permettre l’efficacité de la mesure, le Conseil peut assortir sa décision d’une astreinte, à raison de 100 000 DA par jours de retard, si les injonctions ne sont pas respectées[6]. Cependant, le caractère provisoire doit être garanti afin de ne pas préjudicier au fond de la décision finale.


B : Le pouvoir d’injonction dans le contrôle de la structure du marché.


Du fait du caractère préventif du contrôle des concentrations, l’emploi de l’injonction dans ce domaine est marginal. Ce moyen n’est cependant pas étranger à ce contrôle. Si une opération est mise en place avant que l’organe décisionnel n’ait donné son accord, le Conseil doit pouvoir enjoindre les opérateurs de rétablir le statut ante du marché (1).Ce pouvoir peut également être utilisé pour amender un projet de concentration et éviter son interdiction (2).


1- Les injonctions de déconcentration


Le contrôle des concentrations est un exercice qui se veut prospectif et proactif. Son but est d'éviter la constitution ou le renforcement de pouvoirs susceptibles d’entraver la concurrence sur le marché. L’article 17 de l’ordonnance semble vouloir soumettre l’opération de concentration au contrôle préalable du le Conseil en disposant que « Les concentrations qui sont de nature à porter atteinte à la concurrence en renforçant notamment la position dominante d’une entreprise dans un marché, doivent être soumises par leurs auteurs au Conseil de la concurrence qui prend une décision dans un délai de trois (3) mois ». Sans vouloir revenir sur les limites de cet article qui ont fait l’objet d’une étude détaillée dans nos précédentes contributions[7], l’appréhension d’une telle situation est doublement difficile. Tout d’abord, le pouvoir du contrôle de concentration requiert un pouvoir d’imposer une notification par la force des lois. Cette dernière trouve toutes ses limites dans la rédaction actuelle de l'article 17. Ensuite, une fois la concentration réalisée, le Conseil de la concurrence ne dispose d’aucun pouvoir d’injonction de déconcentration.


En droit français par exemple, la compétence décisionnelle en matière de concentrations a été transférée à l’Autorité de la concurrence. L’article 430-7 du code de Commerce confère à l’Autorité de la concurrence le pouvoir d’enjoindre aux entreprises de déconcentrer leurs opérations et revenir à l’état antérieur de la structure du marché.


L’ordonnance 03-03 ne confère au Conseil qu’un pouvoir de sanction, ce qui est en contradiction avec son objectif premier. Ce dernier devait être une correction ou un rétablissement des conditions de concurrence préalables à la concentration.

A la lecture de l’article 20 qui dispose que « pendant la durée requise pour la décision du Conseil de la concurrence, les auteurs de l’opération de concentration ne peuvent prendre aucune mesure rendant la concentration irréversible », un sentiment d’impuissance nous habite. Si les entreprises rendent la concentration irréversible, que peut faire le Conseil ? L’ordonnance répond à cette question dans l’article 61 qui dispose ce qui suit : « les opérations de concentration soumises aux dispositions de l’article 17 ci-dessus et réalisées sans autorisation du Conseil de la concurrence, sont punies d’une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 7% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en Algérie, durant le dernier exercice clos, pour chaque entreprise partie à la concentration ou de l’entreprise résultant de la concentration».


Il s'agit bien d'un outil mais ce n'est guère un moyen efficace. Sanctionner pour sanctionner n’est pas une solution qui permet au Conseil d’atteindre ses objectifs. La sanction n'est d’aucune utilité pratique quand l’objectif est de rétablir les conditions de concurrence sur le marché. Hormis le caractère répressif et éventuellement dissuasif de l’article 61, une telle mesure n’est d’aucune efficacité et ne rétablit en aucun cas la concurrence sur le marché. C’est la raison pour laquelle il faudrait impérativement inclure expressément, dans la prochaine ordonnance, un pouvoir de déconcentration. Cette manière de faire est la seule à pouvoir dissuader toute concentration sans autorisation mais aussi, et surtout, la seule à permettre au Conseil d’atteindre ses objectifs.


Cela dit, pour le contrôle ex post, et dans le cas où la nouvelle entité abuse de sa position dominante, ilest possible de déduire de l’article 45 une ébauche de solution et un pouvoir d’injonction général du Conseil. Si ce dernier n’a pas de pouvoir d’enjoindre à la nouvelle entité de mettre fin à la concentration, il lui est possible d’utiliser son pouvoir d’injonction structurelle autrement. Par sa mobilisation dans un contrôle ex post, le Conseil pourra contraindre l’entreprise, ou le groupement d’entreprise en cause, à modifier, compléter, ou résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration ayant permis les abus[8].


Le principe en droit est la lecture stricte du texte. Tant que l’article en question ne donne, pas d’une manière exhaustive, les injonctions possibles, il est possible d’en déduire un pouvoir d’injonction, ex post, à caractère général. Il serait intéressant de voir l’interprétation susceptible d’être faite par les juridictions de cet article. De plus, cette solution pose un problème de voie de recours. Le Conseil d’Etat et la Cour d’Alger sont tous deux compétents dans la mesure où cette mesure touche un contrôle ex post et une remise en cause d’une concentration qui peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.


2- Les injonctions de modification


En principe, les concentrations qui risquent de porter atteinte à la concurrence sont interdites à moins que des engagements, proposés par les parties, viennent atténuer ce risque d’entrave. Cependant, l'interdiction n'est pas une fin en soi. Le Conseil doit trouver une alternative et ne peut utiliser l’interdiction que dans le cas où aucune solution ne peut atténuer les risques d'entrave. Dans presque tous les systèmes de contrôle, y compris en droit européen, les autorités de la concurrence n’ont pas le droit d'imposer des conditions pour autoriser des concentrations. La seule voie qui existe est la réception des engagements des parties et l'analyse de leur suffisance. Le pouvoir d’injonction de modification unilatérale d’un projet de concentration incompatible en l’état avec le marché est une exception française[9].L’Autorité de la concurrence peut autoriser une concentration en la soumettant à des injonctions et prescriptions sans que les parties aient préalablement proposé des engagements.


A la lecture de l’article 19 de l’ordonnance qui dispose que « l’autorisation du Conseil de la concurrence peut être assortie de prescriptions de nature à atténuer les effets de la concentration sur la concurrence », il est légitime de se réjouir que notre législation prévoit également une possibilité de modification unilatérale. Le Conseil peut subordonner l’autorisation à des cessions de certains actifs, aux autorisations d’accès à une licence, ou à un comportement spécifique que la nouvelle entité doit adopter. Libre alors aux parties de les accepter ou d’abandonner l’opération. Cette mesure est généralement utilisée comme une dernière tentative dans le cas où les engagements proposés par les parties ne sont pas suffisants à atténuer les risques d’entrave. Son efficacité est donc douteuse dans la mesure où elle révèle l’échec des négociations préalables sur les engagements


II. Les engagements


Contrairement aux injonctions qui sont l’archétype de l’autorité du Conseil, les engagements font appel à la bonne volonté des entreprises. Ces dernières s’engagent à adopter certains comportements pour éviter de tomber ou de retomber dans une infraction (A). Le domaine dans lequel les engagements représentent une importance majeure est celui du contrôle des concentrations (B)

A : La procédure d’engagement dans le contrôle des comportements

Ce n’est pas être redondant de dire et de redire que la sanction est loin d’être une fin en soi pour le Conseil de la concurrence. Son but premier est d’assurer un bon fonctionnement du marché pour permettre aux opérateurs d’évoluer dans une atmosphère saine, et au consommateur d’avoir un meilleur produit au meilleur prix. Dans le but d’assurer une effectivité de la concurrence, le Conseil de la concurrence joue un rôle important en matière d’engagement (1). Cela dit, l’engagement n’est pas une parole prophétique. Le Conseil doit faire un suivi pour s’assurer de la bonne volonté des entreprises (2)


1- Le rôle du Conseil de la concurrence en matière d’engagement


Contrairement aux injonctions qui donnent un ordre de faire ou de ne pas faire, les engagements sont l’expression d’une volonté des entreprises. Ils sont l’œuvre exclusive de ces dernières, tandis que le rôle du Conseil de la concurrence demeure passif. Il doit apprécier la recevabilité, la viabilité et l’efficacité des engagements sans dicter le sens qu’ils doivent prendre. L’article 60 de l’ordonnance dispose ce qui suit : « Le Conseil de la concurrence peut décider de réduire le montant de l’amende ou ne pas prononcer d’amende contre les entreprises qui, au cours de l’instruction de l’affaire les concernant, reconnaissent les infractions qui leur sont reprochées, collaborent à l’accélération de celle-ci et s’engagent à ne plus commettre d’infractions liées à l’application des dispositions de la présente ordonnance.


Les dispositions de l’alinéa 1 ci-dessus ne sont pas applicables en cas de récidive quelle que soit la nature de l’infraction commise ».


La lecture de cet article démontre, encore une fois, l’objectif correctif de concurrence du Conseil. Toute la sévérité des sanctions prévues dans l’ordonnance disparaît avec un engagement de bonne foi. Toutefois, comme toute disposition prévoyant une clémence, aucune dérogation n’est prévue pour une entreprise récidiviste.


Pour la mobilisation de ce moyen par le Conseil, certaines conditions doivent être remplies. Premièrement, l’engagement doit intervenir pendant l’instruction. De ce fait, l’existence d’une infraction, pour laquelle une reconnaissance expresse des auteurs, doit être constatée. Deuxièmement, les entreprises doivent collaborer pour faire accélérer l’enquête en mettant à la disposition du Conseil toutes les informations ayant lien avec l’infraction commise, y compris l’éventuelle dénonciation des coauteurs. Troisièmement, s’engager à ne plus commettre d’infraction.


Si le deuxième alinéa exclut toute entreprise récidiviste de son champ d’application, la notion de récidive n’est pas claire dans cet article. En effet, être récidiviste revient à commettre la même infraction de même nature, d’une manière continue, et dans un temps relativement proche. Une entreprise qui a reconnu un abus de position dominante, conformément à cet article, ne peut être considérée comme récidiviste si jamais elle vient à reconnaitre une entente. Toutefois, l’engagement prévu dans cet article englobe toutes les infractions prévues dans la présente ordonnance, et l’alinéa 2 exclut la récidive « quelle que soit la nature de l’infraction commise ». Si la dernière phrase du premier alinéa ne laisse aucun doute sur l’objectif d’exclusion de toute infraction commise après avoir bénéficier des dispositions de cet article, l’alinéa 2 comporte une contradiction en parlant, d’un côté, de récidive, qui se caractérise seulement par la commission d’une infraction de même nature, et de l’autre, les autres infractions quelle que soit leur nature. Il est vrai que cette rédaction ne produit aucun effet juridique qui risque de compromettre son application. Toutefois, la pertinence juridique impose des textes cohérents aussi bien dans leur applicabilité que dans la mobilisation des différents concepts.


2- Le suivi des engagements


La condition humaine des dirigeants peut leur dicter certaines volontés qui peuvent être en contradiction avec leurs engagements. Il est plus facile de voir une entreprise, faisant l’objet d’une enquête, reconnaitre une infraction et s’engager à ne plus la commettre que celle qui ne fait pas l’objet d’enquête. Le recours à cette procédure peut être vu comme la seule solution d’éviter une lourde sanction au moment où l’infraction est commise. Une fois les bénéfices de cet article acquis, les entreprises peuvent ne plus avoir intérêt à suivre leurs engagements.


Pour éviter une telle baisse de garde par les entreprises, le Conseil procède au suivi des engagements des entreprises en infraction. Ces dernières sont tenues de présenter un compte rendu sur le respect de leurs engagements. Dans le cas du non-respect de ces derniers, le rapporteur ayant instruit l’affaire rédige une note en demandant au Conseil de s’autosaisir[10]. Toutefois, dans le cas où le Conseil constate le non-respect des engagements, que peut-il faire ? Force est de constater que, outre l’article 62 qui prévoit des sanctions pour le non-respect des engagements en matière de concentration, puisqu'il fait expressément mention de l’article 19, il n’existe aucun texte qui prévoit une sanction pour non-respect des engagements prévus à l’article 60.


Si l’engagement se limite à ne plus commettre d’infraction, le Conseil pourrait lourdement sanctionner l’entreprise, du fait d’une circonstance aggravante, dans le cas de la commission d’une nouvelle infraction. En revanche, si les engagements sont matérialisés par des diligences que les entreprises doivent mettre en œuvre sans pour autant tomber dans l’infraction, ce qui est le cas le plus fréquent, le Conseil est dépourvu de tout pouvoir de sanctionner l’entreprise étant donné que l’infraction qui a fait l’objet d’engagements est éteinte par la procédure de transaction.


Au demeurant, l’efficacité du suivi des engagements remet en question tout l’article 60 et l’efficacité d’une telle procédure. En l’absence d’un pouvoir de sanction contre le non-respect des engagements, aucune efficacité ne peut être prétendue à une telle procédure.


B : La procédure d’engagement dans le contrôle des concentrations


Le contrôle des concentrations est une intervention ex ante des règles de concurrence. Son but est d’opérer un contrôle prospectif et proactif sur les conditions de concurrence post-concentration. Le contrôle est donc préventif et en aucun cas répressif quand bien même une interdiction revêt le caractère de sanction. Le Conseil de la concurrence dispose, à ces fins, d’une boite à outils qui lui permet d’assurer l’équilibre concurrentiel de sorte que l’interdiction devienne l’ultime recours.


1- Les engagements comme mesure corrective


Une concentration peut présenter des doutes sérieux sur ses effets restrictifs. Les conditions des coûts et de l’état de l’élasticité de la demande peuvent avoir des indices crédibles sur le danger que peut représenter une opération de concentration. Telle que présentée, cette dernière peut être interdite par le Conseil de la concurrence. Cependant, ce dernier doit explorer l’éventualité de l’utilisation des autres alternatives à l’interdiction. Pour ce faire, les entreprises peuvent soumettre des engagements susceptibles d’atténuer les entraves à la concurrence. L’article 19 dispose que « les entreprises parties à la concentration peuvent d’elles-mêmes souscrire des engagements destinés à atténuer les effets de la concentration sur la concurrence ». Ces engagements peuvent être de nature structurelle ou comportementale.


Les engagements structurels sont considérés comme les plus efficaces en matière de concentration[11]. Les doutes sérieux, soulevés dans la procédure de contrôle, font souvent référence à la forte présence d’une entreprise sur un secteur et l’existence d’une puissance économique. Si telles sont les préoccupations, les entreprises ont tendance à proposer une cession d’actifs aux profits des concurrents ou à des éventuels intrants. Dans le cas où les activités des deux entreprises se chevauchent, il n’est pas rare que les candidats proposent la cession d’actifs d’une activité spécifique. Dans certainscas, les mesures correctives peuvent prévoir l'octroi d'un accès aux infrastructures, réseaux et technologies clés, notamment aux brevets, au savoir-faire ou à d'autres droits de propriété intellectuelle, en accordant cet accès aux tiers sur une base non discriminatoire et transparente. Ces engagements peuvent également prendre forme d’une modification d’une clause d’exclusivité à long terme[12].


En d’autres termes, le déséquilibre susceptible d’être créé par l’opération doit être compensé par des engagements concrets, viables et en mesure de remettre un certain équilibre sur le marché. C’est en se basant sur ce principe que la Commission européenne a autorisé une concentration par laquelle Lufthansa a pris le contrôle d’Austrian[13]. L’un des engagements les plus importants dans cette affaire était la cession de créneau horaire dans plusieurs aéroports pour permettre au concurrent d’augmenter le nombre de vols vers les destinations qui soulevaient des préoccupations ou à des éventuels intrants d’intégrer le marché.


Les engagements non structurels sont ceux qui concernent des comportements spécifiques à adopter. Il est rare qu’un engagement de comportement, comme celui de ne pas adopter certains comportements commerciaux, fasse disparaitre les problèmes de concurrence résultant de chevauchements horizontaux. En effet, il peut s'avérer impossible pour la Conseil de vérifier si les engagements ont ou non été respectés et même pour d'autres acteurs sur le marché, tels que les concurrents, d'établir avec certitude si les parties satisfont les conditions de l'engagement en pratique.


Cependant, les engagements que les entreprises soumettent doivent être viables, vérifiables et en mesure de lever les doutes sur les risques que peut représenter une opération.


2- L’appréciation et le suivi des engagements


Pour que le Conseil accepte des engagements, il doit pouvoir apprécier leur viabilité et leur capacité à corriger les éventuelles entraves. Cette appréciation doit se faire à partir des caractéristiques et des conditions propres du marché en cause. Les cessions d’actifs doivent viser uniquement les activités par lesquelles la nouvelle entité pourrait entraver la concurrence. De plus, quand bien même ces engagements structurels concernent l’activité en question, encore faut-il qu’ils soient en mesure de lever les préoccupations du Conseil. Par exemple, la Commission a interdit une concentration entre deux compagnies aériennes grecques, en l’occurrence Aegean Airline et Olympic Air[14], alors que les engagements étaient les mêmes que ceux de l’affaire Lufthansa abordée plus haut. La Commission avait estimé que les engagements de cession de créneaux horaires dans les aéroports n’étaient pas en mesure de lever les doutes et ne changeraient pas les conditions d’accès au marché étant donné que ces aéroports n’étaient pas saturés.


Si le Conseil doit recevoir uniquement les engagements suffisants à soulever les doutes sur la compatibilité d’une concentration, il ne doit pas toutefois aller au-delà de ce qui est nécessaire, proportionné et adapté au but recherché. Si par, exemple, des candidats proposent la cession de plusieurs actifs, le Conseil ne doit accepter que ceux qui sont à même de lever les doutes à la limite de ce qui est nécessaire. Dans le cas où le Conseil estime que des engagements de comportement sont suffisants, il doit s’abstenir de recevoir les engagements structurels.


Les engagements en matière de concentration sont d’une efficacité certaine. Le Conseil de la concurrence dispose d’un pouvoir de suivi et de sanction de leur non-respect. Pour les engagements structurels les plus importants, le Conseil peut subordonner la réalisation effective de la concentration à la cession préalable des actifs. Dans ce cas, le contrôle du respect des engagements n’est plus nécessaire. En revanche, si le Conseil permet à la nouvelle entité d’avoir un délai pour la réalisation des engagements, il doit pouvoir surveiller le respect de ces derniers et sanctionner les éventuels non-respects. Pour ce faire, l’article 62 dispose qu’« en cas de non-respect des prescriptions ou engagements mentionnés à l’article 19 ci-dessus, le Conseil de la concurrence peut décider une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en Algérie durant le dernier exercice clos de chaque entreprise partie à la concentration, ou de l’entreprise résultant de la concentration».


Cet article peut avoir un caractère dissuasif mais ne peut être d’une grande efficacité en l’absence d’injonction de déconcentration. Le Conseil doit pouvoir imposer aux opérateurs le retour à la situation d’avant la concentration si les engagements ne sont pas respectés. En l’absence de ce pouvoir d’injonction structurelle, l’efficacité de cet article demeura relative.


Pour conclure, il est utile de rappeler que le rôle du Conseil n’est pas purement répressif. Sa principale fonction est la correction de concurrence. L’impact d’une pratique anticoncurrentielle ou d’une concentration dépasse le seul intérêt du consommateur. Il s’agit d’un danger qui plane sur l’économie algérienne dans son entièreté. Assurer les conditions d’une concurrence saine et non faussée relève d’une urgence nationale. Seul le Conseil de la concurrence, en collaboration avec les différentes autorités de régulation sectorielles, peut atteindre cet objectif de protection de l’ordre public concurrentiel. Encore faut-il que des textes, sans ambiguïté, lui donnent les moyens nécessaires à l’accomplissement cette noble mission.




[1] V., par ex., G. A. Sofianatos, Injonctions et engagements en droit de la concurrence : étude de droit communautaire français grec, Paris : LGDJ-Lextenso éd., 2009.

[2] Ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence, op.cit., article 45.

[3] Article L464-9 du code de commerce français

[4] R. Perrot, « Du ‘provisoire’ au ‘définitif’ », in mélange offert à Pierre Drai, le juge entre deux millénaires, Dalloz, 2000, p. 447

[5]V., par ex., G. A. Sofianatos,Injonctions et engagements en droit de la concurrence : étude de droit communautaire français grec, op.cit., page 29

[6] Ordonnance article 58

[7] R. RABIA, «L’analyse économique du Conseil de la concurrence en matière de concentration», intervention lors de la journée d’étude organisée par le Conseil de la concurrence sur le thème du rôle du Conseil de la concurrence dans la régulation du marché, Alger, hôtel El Aurassi, 29 mai 2016, publiée sur le site du Conseil de la concurrence algérien et au Bulletin Officiel de la concurrence n°11, 2017 ; R. RABIA, « Avis pour le Conseil de la concurrence algérien sur l'opportunité de la réforme de l'ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence», avis publié sur le site du Conseil de la concurrence, à paraître au Bulletin Officiel de la Concurrence (BOC) n°15, 2018.

[8] Ce pouvoir est expressément conféré à l’autorité de la concurrence française par le texte article 430-9. Cet article peut même être appliqué à une concentration qui n’a pas été notifiée car elle n’atteint pas le seuil. Ce pouvoir appartenait jadis au ministre et a été modifié par la LME

[10] Voir le dépliant relatif aux engagements publié par le Conseil de la concurrence sur son site internet.

[11] Voir, D. BOSCO, « La cession d'actif, une panacée ? », revue Contrats Concurrence Consommation, n° 2,01/01/2018 page(s) 12-13.

[12] Pour plus de détails sur les mesures correctives en matière de concentration, v. par ex., la communication de la Commission européenne concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil et au règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission, disponible sur http://ec.europa.eu/competition/mergers/legislation/files_remedies/remedies_notice_fr.pdf

[13] Comm. CE, le 22 aout 2009, Lufthansa /Austrian Airlines, n° COMP/M.5440.

[14] Comm. UE, 26 janvier 2011 Aegean Airline /Olympic Air, M.5830.


 
 
 

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